Depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine, les questions relatives à la politique de sécurité ont regagné en intérêt. La période des dividendes de la paix est terminée. La facture s’annonce d’autant plus salée que nous avons démantelé ces trente dernières années les institutions, les moyens de production et le savoir-faire nécessaire à assurer notre sécurité. Malheureusement, le débat s’axe surtout sur la question du financement de l’acquisition de systèmes afin de remplacer le matériel vieillissant de notre Armée. Or, la capacité à durer en cas de conflit de haute intensité ne saurait se résumer au nombre de chars, d’obusiers blindés et de chars de grenadiers qu’un belligérant est en mesure d’aligner. Certes, ces systèmes complexes caractérisés par un coût unitaire important et un temps d’acquisition long doivent être commandés en priorité. Néanmoins, de telles acquisitions doivent s’inscrire dans un contexte plus large dans lequel la Suisse et son industrie doivent se réancrer. Sans munitions, carburant, pièces de rechange et ateliers, le tout protégé, il est illusoire de penser pouvoir tenir. Il s’agit donc ici d’élaborer quelques réflexions permettant de concilier défense efficace du pays et un financement limité ou comme le diraient les anglo-saxons : How to get the most bang for your buck ?
Industrie lourde et / ou technologies de pointe ?
« You go to war with the army you have, not the army you might want or wish to have at a later time. »
D. Rumsfeld (Secrétaire à la Défense des Etats-Unis de janvier 2001 à décembre 2006)
Il est peu probable que nous soyons en mesure de recouvrir les capacités industrielles que nous possédions durant la Guerre froide (coûts prohibitifs et main d’œuvre qualifiée manquante). Les capacités restantes doivent donc être conservées. Or même si le montant nécessaire pour la modernisation du premier tiers des Forces
terrestres peut paraître important, il ne suffira pas à maintenir l’industrie d’armement suisse. Les volumes de commande de l’Armée suisse sont trop faibles. Dans un contexte où les exportations de matériel de guerre suisses sont en baisse, il est important de trouver de nouveaux débouchés pour notre industrie afin de permettre le maintien et pourquoi pas l’extension des chaînes de production existantes.
L’augmentation du budget de l’Armée à 1% du PIB d’ici à 2030 ou 2035, ne change pas le fait que seul un tiers de l’Armée sera modernisé à l’horizon 2035 / 2040. La modernisation du reste des systèmes est repoussée à l’horizon 2050 soit aux calendes grecques… La citation de D. Rumsfeld prend alors ici tout son sens. Que faire maintenant pour obtenir le plus d’efficacité au but alors que les systèmes principaux feront défaut ? La Suisse peut miser sur ses industries de pointe. Parallèlement au renouvellement des systèmes, le développement de drones et de munitions rodeuses doit être lancé en Suisse, des chaînes de production mises en place et des pièces détachées stockées pour le cas de conflit armé. A défaut d’obus d’artillerie et de systèmes lourds, l’Ukraine semble avec cette solution avoir trouvé un ersatz plutôt convainquant à défaut de mieux.
Infrastructure de combat : revenir en arrière sur certaines décisions ?
L’abandon des ouvrages piégés et des positions de barrages dans les infrastructures de transport du pays semblait censé lorsque la décision a été prise après la Chute du mur de Berlin. Or près de dix ans après la mise hors service de ce dispositif en Suisse, les positions de défense statique font leur retour en Ukraine. Comparaison
n’est pas raison mais il serait peut-être bénéfique de s’interroger sur la pertinence de réintroduire de tels ouvrages sur les axes clés de notre pays (réseau des routes nationales et voies ferrées). Les nombreux projets de maintenance et d’extension du réseau ferroviaire et autoroutier sont l’opportunité de le faire. Le financement de
ces mesures pourrait par exemple se faire indirectement par le biais des fonds d’infrastructures ferroviaires et routières. L’infrastructure de combat avait été abandonnée pour des questions de coûts et car des systèmes mobiles permettaient de remplir cette tâche. Or au vu du manque de munitions et des difficultés d’approvisionnement, ne serait-il pas plus intelligent de conserver la munition pour des buts militaires ?
SEPOS : des mesures de coordination claires entre l’ensemble des partenaires
La mentalité de travail en silo des différents acteurs de la sécurité (Armée, PCi, feux bleus et hôpitaux) doit enfin cesser. Des exercices conjoints de grande ampleur entrainant la coordination de ces différents acteurs doivent à nouveau être organisés. Selon l’adage « qui peut le plus, peut le moins », le scénario d’une attaque terrestre de grande ampleur doit être retenu. Ces manœuvres pourraient avoir lieu tous les cinq ans et impliquer au minimum une brigade mécanisée ainsi que les partenaires civils. Le SEPOS serait chargé d’élaborer conjointement avec le Commandement de l’Armée les standards de coordination et assurer l’implication des partenaires civils. Orientation sur la capacité de production de moyens conventionnels et de drones, remise en place d’une infrastructure de combat et coordination des acteurs peuvent permettre à la Suisse d’augmenter significativement dans des délais raisonnables et à prix modéré sa capacité à répondre à une menace existentielle. C’est une question politique : voulons-nous utiliser mieux nos capacités pour assurer la défense du pays ou continuer à vivre dans une chimère ?
Le lundi 18 mars dernier a eu lieu la cérémonie d’accueil des nouveaux officiers vaudois au Château de Morges. Organisée conjointement par l’Administration de l’Obligation de Servir et notre Société, cette soirée avait pour but d’accueillir dignement les nouveaux promus dans le corps des officiers de l’Armée suisse. Après le discours de bienvenue tenu par le capitaine Jean-Michel Truffer (commandant des Arrondissements militaires vaudois), la trentaine de participants a pu visiter l’exposition temporaire « Y’a le feu au lac ! » ainsi que la collection de figurines historiques sous la conduite de Madame Adélaïde Zeyer (Directrice du Musée) et Marc-Eric Wirth (Médiateur culturel). La soirée s’est poursuivie par un apéritif garni. Le président de la Société Vaudoise des Officiers, le colonel EMG Christophe Gerber, a remercié chaleureusement nos nouveaux camarades pour leur engagement en faveur de la sécurité de notre pays. Il a également rappelé l’importance pour les officiers de milice de poursuivre leur formation et maintenir les liens de camaraderie en dehors du service, notamment par une participation active à la vie de notre Société. Les présidents de groupements et de sections ont présenté leurs activités pour l’année à venir. L’apéritif a également été l’occasion d’échanger entre officiers de tous grades et de toutes armes.
Ce samedi 13 avril 2024, onze membres de la SVO et deux accompagnantes ont répondu « présent ! » à l’appel au pied du château de Saint-Maurice. Entre l’édifice du XVe siècle et les fortifications Dufour, tout amateur d’histoire aurait rapidement compris l’importance stratégique de ce lieu. Mais c’est une centaine de mètres plus haut, et à travers une centaine de mètres de galeries, que nous nous sommes dirigés, pour une part d’histoire bien plus récente. Aménagé en pleine Seconde Guerre Mondiale, et en seulement quelques années, le fort de Cindey symbolise une Suisse de l’incertitude et de l’instabilité politique. Saint- Maurice connaît en effet déjà d’autres forts de grande importance : Dailly, Savatan et, dès l’aube de la Première guerre, le fort du Scex. Au passage obligé de la vallée du Rhône, ce dernier flanque l’adversaire avec ses 7 positions de feu. Cindey, construit comme une « dépendance », viendra le renforcer avec deux canons de 10.5 cm, capables de feu direct comme arme antichar et de feu indirect comme arme d’artillerie, quatre canons antichars 9 cm, et 3 mitrailleuses de forteresse 7.5 mm. Un équipement polyvalent, dans un fort rustique qui pouvait accueillir jusqu’à 173 hommes pour 90 lits. Autour d’une fondue servie dans le réfectoire du fort, j’apprends que certains d’entre nous ont bien connu l’époque des troupes de forteresse, pour y avoir servi ou pour avoir commandé des formations. Pour moi, jeune officier des troupes d’artillerie, ils ont toujours été l’image d’une époque révolue de résistance sur des positions statiques, mais jamais une réalité militaire pour laquelle j’ai été exercé. Le matériel qui l’équipe, datant des années 1990, m’est en partie inconnu. Pour mes camarades, ce sont les objets de leur service militaire que l’on trouve dans ces murs. Le fort de Cindey, tout comme celui du Scex, a été décommissionné en 1995, et les troupes de forteresse disparurent en 2011. Cette arme, jugée désuète dans le message sur l’armée de 2018 à cause de la faible vraisemblance d’une attaque mécanisée, avait pourtant connu un développement avec la production dès 1993 du fameux système BISON, capable de feu à trajectoire courbe au-delà de 30 km. L’obusier blindé M109, capable de feu jusqu’à 24 km, de 20 ans l’aîné du BISON, mais modernisé, est l’arme de l’artillerie mobile du combat d’aujourd’hui. Dans le message sur l’armée 2024, le Conseil fédéral présente trois variantes pour l’orientation de l’armée, dont une vise à la défense contre une attaque militaire de grande envergure. Samedi, c’est une armée de positions qui nous a été présentée, et pas l’armée mobile et réactive d’aujourd’hui. Mais je crois que nous aurions mérité, nous, jeunes officiers, à prêter une oreille attentive à ceux qui ont servi dans une période moins stable que celle que nous connaissons. Et quoi de mieux que de le faire à la vaudoise, c’est-à-dire en partageant le verre de l’amitié ?
La guerre en Ukraine a confirmé certaines tendances relatives à la menace sur le champ de bataille. Utilisation des drones et munitions rodeuses en grande quantité disponibles dès l’échelon tactique, médiatisation des pertes de l’adversaire sur les différents réseaux sociaux et consommation de munitions et de carburant en quantités importantes : la liste est encore loin d’être exhaustive. Or face à ces nouvelles menaces et même si l’Armée a lancé de nombreux essais à la troupe, notamment en termes de drones, nous semblons bien démunis face à ces évolutions. Il s’agit donc ici d’observer quelles sont les mesures pouvant être prises rapidement (quick fixes) afin de s’adapter à cette nouvelle donne dans le cadre des cours de répétition et services d’avancement.
Face aux drones : le retour en grâce du camouflage
Si l’Armée suisse de dispose pas encore de filets et de kits de camouflage à large spectre (optique, thermique et électromagnétique), les filets de camouflages optiques traditionnels sont déjà un pas dans la bonne direction. Ils permettent d’une part d’éviter la détection optique par l’exploration adverse et d’autre part offrent une protection limitée contre les munitions rodeuses. En effet, on a pu constater dans un certain nombre de cas que les munitions rodeuses russes Lancet-3 se sont retrouvées empêtrées dans le filet de camouflage de positions fixes ukrainiennes avant que la charge explosive ait pu détonner. On peut donc imaginer ce type de dispositif dans le cadre de la prise d’un secteur d’attente. A cette fin le chef construction de la compagnie doit être intégré dans la planification du cours et la commande de matériel de construction (bois) effectuée lors du RAU. Face à la détection optique un camouflage adapté à la saison est également de mise. A cet effet, les documents auxiliaires 12.073 et 12.074 Camouflages de marche improvisés pour char 87 WE et char gren 2000 sont des éléments intéressants. Ils sont consultables sur LMS (en allemand uniquement). Il serait fort souhaitable que cette démarche entreprise par la FOAP bl/art soit étendue à l’ensemble des véhicules que compte notre parc.
Les réseaux sociaux : un champ de bataille à part entière
Celui qui aura passé quelques instants sur X, Instagram ou encore YouTube, à condition que sa bulle de filtres soit configurée correctement, aura sans doute constaté le nombre de contenus postés par les deux parties depuis le début des hostilités. Compilations de destructions de matériel adverse, prise d’une position adverse, visites de corps, destruction des localités, vidéos de recrutement, l’effort déployé est conséquent. Ces vidéos poursuivent plusieurs objectifs : rassurer la population sur la capacité de ses propres forces armées et/ou démontrer l’incompétence de l’adversaire, s’assurer l’appui d’alliés ou encore démoraliser les troupes adverses. Depuis une dizaine d’années de nombreuses caméras sportives du type GoPro ont fait leur apparition sur le marché. Elles ont l’avantage d’être relativement résistantes (suffisamment pour le front de l’est) et utilisées de manière assez large par les pratiquants de sports de neige pour documenter leurs sorties. Dans notre Armée de milice, il ne serait par conséquent pas forcément compliqué de s’en procurer quelques exemplaires auprès des militaires incorporés dans l’unité. Les images pourraient donc être tournées dans le terrain par les compagnies et transmises par ex quotidiennement au PIO pour montage et traitement sans que le déroulement de la journée ne soit trop fortement impacté.
Sensibiliser la troupe : penser en trois dimensions et sortir des casernes
Comme vu précédemment, la menace venue du ciel doit faire partie intégrante de toute prise de décision. Toutefois, si le soldat ne comprend pas les conséquences que son comportement individuel peut avoir sur l’ensemble sa section ou de son unité, la meilleure des planifications ne sert à rien. Le meilleur camouflage, une dispersion adéquate des moyens dans le secteur d’attente, une discipline radio de fer et un dispositif de garde efficace ne servent à rien si un homme décide de sortir du dispositif pour fumer une cigarette ou passe un appel téléphonique permettant ainsi la détection de l’ensemble. Face à ces comportements les britanniques appliquent en déploiement la sanction pouvant aller jusqu’à la retenue complète de la prime de risques. Sans forcément aller jusque dans cet extrême, un élément de contrainte créatif peut être introduit. Comme le rappelait le Général Guisan, la vie de caserne ne reflète pas le déroulement quotidien de la vie d’une unité militaire en engagement. Lorsque les contraintes le permettent, la section commandement peut également être entraînée à la prise de poste de combat / de commandement en dehors de l’infrastructure déjà existante (en caserne ou sur un emplacement extérieur). Le règlement 54.031 Les compagnies du bataillon de chars offre un aperçu des variantes à disposition. Dans le cas de la prise d’un secteur d’attente sur la place d’armes de Bure par les sections de manœuvre, la section commandement pourrait également être incluse à l’exercice et ainsi l’unité entrainée dans sa globalité au plus près de la réalité avec les contraintes que cela implique. Camouflage, communication digitale et entraînement au plus proche de la réalité peuvent permettre de gagner rapidement en compétence et ainsi renforcer l’efficacité à l’engagement.
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